Cérémonie du thé

Dans un jardin qu'on dirait éternel, l'art de l'instant présent

La cérémonie du thé japonaise, un art inutilement compliqué ? Le film Dans un jardin qu'on dirait éternel pourrait bien donner un éclairage nouveau sur le sens de Cha no yu.

De l'eau chaude pour préparer du thé matcha. A première vue, la cérémonie du thé japonaise Chanoyu, avec ses règles, ses codes, et son exigence intrinsèques, peut sembler exagérément complexe aux yeux d'un néophyte. Après tout, pourquoi répéter un tel rituel uniquement pour préparer du thé ?

Le film Dans un jardin qu'on dirait éternel de Tatsushi Omori pourrait bien porter à l'écran des pistes de réflexion sur l'essence de l'art du thé...

La cérémonie du thé, ou l'apprentissage de l'exigence

Adaptation du roman La cérémonie du thé de Noriko Morishita, le film Dans un jardin qu'on dirait éternel nous présente l'histoire de deux cousines, Noriko et Michiko, qui, poussées par leurs parents, décident de se lancer dans l'apprentissage de la cérémonie du thé auprès de la maîtresse de thé Mme Takeda, interprétée à l'écran par la regrettée Kirin Kiki. Encore indécises quant à leur avenir, elles vont apprendre, avec la pratique de chanoyu, à écouter et apprécier à sa juste valeur le moment présent, et ressentir l'unicité de chaque instant au sein du perpétuel recommencement des saisons...

Les débuts hésitants et maladroits des deux protaganistes prêtent à sourire, mais soulignent bien l'exigence qu'impose l'apprentissage de la cérémonie du thé. Du pliage du fukusa (carré de soie), au son à produire lorsque l'eau est versée dans le chawan, en passant par le nombre de pas précis pour entrer dans la chashitsu, le film restranscrit avec précision les codes de la cérémonie du thé du point de vue des apprenants. Ainsi, l'art de chanoyu, rigoureux, s'apparente à de l'apprentissage par coeur et à une inlassable répétition des mêmes gestes durant les premières années. Et lorsque des questions surviennent à l'esprit de ses élèves, Mme Takeda leur demande de ne pas réfléchir. Parce que la compréhension profonde de la cérémonie du thé japonaise n'apparaît que lorsque les gestes, absorbés par les mains elles-mêmes, deviennent fluides, et sont en harmonie avec l'instant présent, caractérisés par les mots inscrits sur le kakemono, la fleur de saison idéalement présentée à sa gauche, et le son de l'eau et du vent dans le jardin adjacent à la maison de thé...

Dans l'alcôve, un kakejiku sur lequel figure l'inscription "日々是好日". Et Madame Takeda, interprétant, d'un ton enjoué : "Chaque jour est un bon jour"...

  • Un superbe film sur la philosophie de la cérémonie du thé

  • Un des derniers films de la regrettée Kirin Kiki

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Ichigo Ichi-e, vivre l'instant présent

Une affirmation qui peut sembler absurde au fur et à mesure de l'avancement du film, qui ne semble pas offrir à Noriko une vie idyllique... Difficulté à faire évoluer sa vie professionelle, perte d'un proche, ou encore vie amoureuse infortunée, l'existence de Noriko semble bien loin de n'être constituée de jours heureux...

Mais malgré le tumulte de la vie et ses épreuves, une chose demeure, immuable : le thé. Comme une ancre amarrée, malgré la tempête, la cérémonie du thé et les enseignements de Madame Takeda permettent à Noriko, tant bien que mal, de poursuivre la croisière qu'est la vie. Et finalement, c'est bien dans le thé que Noriko trouvera la réponse à la question essentielle qui la traverse durant le récit : ”Que souhaite-je faire de ma vie ?”.

Ainsi, Dans un jardin qu'on dirait éternel nous présente assez rapidement cette maxime de manière énigmatique, Noriko et Michiko n'en comprenant pas le sens... A la manière d'un koan, question à première vue contraire à la logique dans le bouddhisme zen, le spectateur se retrouve lui aussi perplexe : chaque jour n'est apparemment pas idéal... Mais on peut décider de l'apprécier. Ainsi, aujourd'hui est le seul jour sur lequel nous avons prise, car le passé est révolu, et le futur reste à venir. La chose la plus précieuse que nous ayons dans notre existence quotidienne, est le fait que nous puissons vivre l'instant présent. Une pensée bouddhique que la cérémonie du thé japonaise incarne à la perfection, car le thé replace ses pratiquants dans l'instant présent, de par la concentration requise pour sa réalisation, ou encore par l'omniprésence des saisons au sein de la chashitsu...

Plus exactement, l'art de chanoyu se repose sur des principes bouddhiques, intrinsèques à son histoire. Ainsi, en 1191, le moine Eisai, de retour de Chine, importe au Japon le bouddhisme Chan, ou zen en japonais, ainsi que le thé en poudre. Le thé vert réduit en poudre, ou thé matcha, était utilisé par les moines bouddhistes pour rester éveillés lors de leurs longues séances de méditation. Il s'agit probablement de la raison historique pour laquelle le thé matcha reste le thé préparé durant chanoyu, même s'il existe également des cérémonies du thé centrées sur la préparation du thé sencha. Au XVIème siècle, le maître de thé Sen no Rikyû ancre définitivement les principes de la cérémonie du thé en alignement avec les enseignements zen, en optant pour une simplicité volontaire et des décorations épurées : c'est le principe du wabi-sabi.

Ce même Sen no Rikyû qui est, par ailleurs, à l'origine de l'expression actuelle japonaise Ichi-go Ichi-e (一期一会, une fois, une occasion), qui rappelle le caractère unique d'un moment. Cet idiome en 4 caractères, aussi appelé yojijukugo, nous invite à considérer la nature évanescente de l'instant présent et ainsi chérir chaque rencontre. Ainsi, il aurait prononcé l'expression Ichigo ni Ichido(一期に一度), signifiant "une chance au cours d'une vie", de laquelle la locution précédemment citée serait dérivée. Le terme Ichigo provient du bouddhisme et signifie "de la naissance à la mort", ou bien "pour la durée d'une vie". Ce concept a ensuite été détaillé et approfondi au XIXème siècle par un grand pratiquant de l'art de chanoyu, Ii Naosuke, alors administrateur sous le shogunat Tokugawa :

« Une grande attention devrait être accordée à une réunion de thé, que nous pouvons qualifier de "une fois, une réunion" (ichi-go, ichi-e). Même si l'hôte et les invités peuvent se voir souvent socialement, la réunion d'une journée ne peut jamais être répétée exactement. Vue de cette façon, la réunion est en effet une occasion unique dans une vie. L'hôte doit donc, en toute sincérité, apporter le plus grand soin à chaque aspect du rassemblement et se consacrer entièrement à faire en sorte que rien ne soit difficile. Les invités, pour leur part, doivent comprendre que le rassemblement ne peut plus se reproduire et, appréciant la façon dont l'hôte l'a parfaitement planifié, doivent également participer avec une vraie sincérité. C'est ce que l'on entend par « une fois, une réunion ». » - Ii Naosuke

Faire le vide dans son esprit, être totalement ancré dans l'instant présent, pour se concentrer uniquement sur l'essentiel, voilà ce qui caractérise la voie du thé.

Dans un jardin qu'on dirait éternel, ou une expérience multisensorielle

Mais ce qui frappe plus encore lors du visionnage, c'est que le film Dans un jardin qu'on dirait éternel, bien qu'ayant une esthétique épurée et maîtrisée, est surtout une expérience très sonore. Ainsi, le son de la pluie, des cascades, ou même la différence de son existante entre l'eau chaude et l'eau froide, constituent des éléments centraux à la narration de l'oeuvre. Car la cérémonie du thé chanoyu, signifiant littéralement "l'eau chaude pour le thé", est un rituel dans lequel l'eau occupe une place primordiale : elle est essentielle pour préparer le thé lui-même, mais également pour nettoyer et purifier les ustensiles nécessaires à sa préparation.

En accordant une place prépondérante aux sons, et à l'eau elle-même, Dans un jardin qu'on dirait éternel nous permet de ressentir l'harmonie (ou wa) qui s'exprime durant la cérémonie du thé. Elle est présente notamment dans la relation existante entre l'hôte et l'invité, mais aussi entre l'ambiance ressentie dans la salle de thé et la saison de l'année s'épanouissant dans le jardin, ou encore entre les sucreries wagashi servies et les ustensiles utilisés. L'eau permet également d'apporter la pureté (ou sei) aux objets, mais aussi à l'esprit et au corps. Lorsque les ustensiles de la cérémonie du thé sont débarrassés de leurs impuretés, l'esprit du pratiquant du thé est lui aussi purifié, comme allégé des considérations superficielles, pour se concentrer sur la tâche qui lui incombe dans l'instant présent. Mais, plus encore, l'eau, c'est le lien : Noriko évolue dans sa compréhension du thé à chaque fois qu'elle prend conscience des sons que produisent l'eau. Il s'agit également de l'élément qui relie les hommes et leur permet d'échanger savoir et biens. Ces liens doivent être honorés par l'existence de respect (kei) entre l'hôte et les invités durant le chanoyu.

Enfin, c'est avec des années de pratique que Noriko atteint la tranquillité de l'esprit (jaku) et devient sensible aux évocations de l'eau à travers la pratique de la cérémonie du thé, qui lui permet de surmonter les tourments de la vie en apprenant à maîtriser ses émotions.

A travers les sensations sonores du film, les quatre grands principes de la cérémonie du thé, wa, kei, sei, et jaku, conceptualisés par Sen no Rikyû, sont ainsi retranscrits de manière intuitive pour le spectateur, qui peut alors ressentir l'essence des enseignements apportés par le thé...

  • Superbe livre sur la philosophie de la cérémonie du thé

  • Le livre qui a inspiré le film Dans un jardin qu'on dirait éternel

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Nichi nichi kore kojitsu, chaque jour est un bon jour

Alors, quelle réponse apporter à l'utilité de pratiquer la cérémonie du thé ?

Dans un jardin qu'on dirait éternel montre à travers l'histoire de Noriko que l'art de chanoyu participe à mettre nos sens en éveil et à prendre conscience de l'environnement dans lequel nous évoluons au quotidien. Alors que l'environnement qui nous entoure sollicite de manière permanente notre attention, nous empêchant ainsi de prendre un temps d'introspection et d'atteindre un état de tranquillité de l'esprit, la cérémonie du thé nous invite à nous couper du bruit du monde pour nous replacer dans l'espace pluriséculaire que représente la salle de thé. Le monde change ; le thé, immuable, demeure.

La cérémonie du thé est également le produit, par ses principes, de siècles de sagesse bouddhiste. Pratiquer chanoyu, c'est avoir l'accès privilégié, au plus profond de soi, à la compréhension de la philosophie zen japonaise, et plus largement aux valeurs intrinsèques qui anime ce pays.

En un mot, l'art du thé, c'est l'art de l'impermanence. La fugacité de la jeunesse, la fin d'un amour et le changement des saisons ne doivent pas être déplorés, mais chéris et appréciés dans toute leur impermanence, car c'est de là que vient leur beauté. Le thé est un appel à la reconnaissance de l'éphémérité des choses de la vie, un concept que l'on nomme mono no aware (物の哀れ) en japonais. Et contrairement au memento mori occidental, il s'agit d'accepter cette vérité dans la sérénité et la contemplation. Ainsi, un bol de thé du Nouvel An arbore chaque année un signe astrologique chinois différent, et il faut attendre 12 ans avant de pouvoir l'utiliser à nouveau...

Apprendre à apprécier chaque moment, puisque rien ne dure... Une fois, une occasion.

Chaque jour est un bon jour, et c'est peut-être maintenant que tout commence...

« Buvez votre thé lentement et avec révérence, comme s’il était l’axe sur lequel tourne la Terre. Lentement, uniformément, sans se précipiter vers l'avenir. Vivez le moment présent. Seul ce moment est la vie. » - Thich Nhat Hanh
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